samedi 21 juillet 2012

La traduction de l'interview de John Fekner
L'article original      http://blog.vandalog.com/2011/03/interview-with-john-fekner/

Dans les années 70, seuls quelques artistes utilisaient les rues pour toucher les gens, communiquer et en fin de compte pour faire de l’art. Accompagné de Don Eicht, son collaborateur de toujours, John Fekner apporta de l’art et de l’aide dans des coins de New-York où ce manque se faisait cruellement ressentir à l’époque. Parmi les centaines de messages que John peignit à la bombe dans tout New York, on peut citer :« Decay/Abandoned », « Wheels Over Indian Trails », « Post No Bills, Post No Dreams ». Ce que certains appelèrent vandalisme, d’autres virent cela comme des messages de bienvenue, enfin certains virent cela comme un appel du pied à la ville pour qu’elles réparent certaines choses.

Vous avez vécu à New-York toute votre vie, et commencé à faire de « l’art public » en 1968, qu’est-ce qui vous a poussé à faire de l’art dans l’espace public ?
            J’étais un gamin de la ville, dès que je sortais de chez moi, l’environnement était littéralement dur : du béton, de l’asphalte, des marteau-piqueurs, des feux de signalisation. Les usines de Long Island étaient seulement à quelques blocks. En été, on jouait au handball, en hiver on faisait du hockey sur roller et ainsi de suite. Tout le temps dans la rue, Sunnyside, Woodside, Jackson Heights. Mon premier message à l’extérieur fut aux Jackson Heights, là où je traînais pas mal quand j’étais ado dans les années 60. A 17 ans, avec quelques amis, on traînait sur le toit de la maison du parc, et sur le devant, on a écrit la phrase « Itchycoo Park » en lettres de deux pieds de haut (environ 60 cm).

Quelle a été l’influence de votre vie à New-York sur votre travail ?
            Vivre à New-York, c’est voir la crasse qui s’échappe au-dessus des appartements, des cheminées, des moteurs diesel, l’odeur de kérosène près de La Guardia (un des aéroports de New-York). C’est une relation d’amour et de haine entre industrie et technologie.

Don Leicht et vous avez collaboré pendant des années. Comment et quand vous êtes-vous rencontrés ?
            On s’est rencontrés à la fac dans le Bronx en 1973. Lors du premier cours de critique, on s’est chacun pointé avec un quelque chose d’invisible, moi c’était des portraits et lui des récits abstraits. La classe était stupéfaite, ils voyaient rien, on s’est bien entendu direct’, normal pour des signes Balance nés en Octobre.

Quand avez-vous décidé de collaborer ?
            Ca a commencé avec le studio qu’on partageait en 76 ; on cachait des œuvres à l’intérieur de l’immeuble et on dessinait à la fois sur les murs extérieurs du bâtiment.

Quelle a été la collaboration que vous avez le plus appréciée ?
            La collaboration est la chose dont je me rapproche le plus lorsque l’on travaille à mettre en place un message. Avec Don, on échange des idées, le voyage visuel est fait de méandres et de détours mais en fin de compte, on finit avec une image unie qui marche. Parfois, il mène le truc, parfois je reprends la main à un certain moment. La peinture finie est un mélange de nous deux. Il n’y en à pas un qui peint ci et l’autre qui dit ça. C’est un peu comme un parolier avec un joueur de piano. Parfois, la musique vient en premier, parfois les mots et vice-versa. Chacun joue avec ce que l’autre apporte.

Le projet des « Warning Signs»(signaux d’avertissement) a mis en lumière certains quartiers de New-York et des communautés qui avaient, à cette époque besoin d’aide . Pouvez-vous m’en dire plus sur ce projet et comment cela vous a-t-il aidé à devenir l’artiste que vous êtes aujourd’hui ?
            J’attachais beaucoup d’importance à mon environnement direct et je me demandais pourquoi quelque chose de cassé n’était pas réparé. J’ai essayé de mettre l’accent sur un problème que certains gardaient en-dehors de leur champ de vision, je l’ai rendu plus visible. Les problèmes ayant trait à la condition humaine et l’environnement sont toujours aussi importants et il faut leurs apporter une réponse. Ils sont d’ailleurs toujours présents dans des travaux plus récents, que ce soit dans un clip ou bien une série de peinture.

En m’intéressant à votre œuvre, j’ai découvert que vous aviez étudié la poésie lorsque vous étiez adolescent. Comment la poésie influence-t-elle vos travaux ?
            La poésie est comme la vie, un instant et puis, ce dernier a disparu. C’est un bref reflet de ce qu’est la vie, un écho instantané, quelques secondes d’une vie capturé en quelques mots.

Qu’est-ce qui inspire John Fenkner ?
            La découverte ou l’exhumation de quelque chose qui touche la fibre sensible. Quelque chose qui m’oblige suffisamment à devoir réagir immédiatement et donc créer et passer par le média le plus approprié.

Votre endroit préféré à New-York ?
            Sous le viaduc de Sunnyside, à écouter ces échos éternels : http://www.flickr.com/photos/41101207@N00/2195426639 Et n’importe quelle rue de New-York qui a des pavés. Ca me rappelle ceux qui ne sont plus là, famille et amis. Marcher dans ces rues très tôt le matin pendant les vacances quand il n’y a personne… C’est comme si t’allais croiser Edward Hopper.

Vous travaillez généralement avec des pochoirs et du métal. Pourquoi les pochoirs ? Pourquoi le métal ?
            Les pochoirs sont sujets à cette proclamation officielle en ce moment… Don’t Enter-Don’t Built. Du métal se dégage un aspect industriel et il reflète bien la destruction de l’environnement avec ces autres coupables que sont le plastique et le caoutchouc. C’est tellement peu naturel et pourtant si naturel pour nous les habitants des villes.

Il y a également la musique et les ordinateurs. Comment en êtes-vous arrivé à travailler avec des ordinateurs et de la vidéo ?
            L’idée d’utiliser de nouveaux outils comme la musique et la vidéo est apparue dans le milieu des années 70 avec l’apparition du caméscope portable Sony « portapac » qui n’était pas si portable que ça. Le « Do It Yourself» était vachement à la mode alors filmer les actions avec les pochoirs nous semblait naturel. En 1981, l’université de New-York nous invita, Crash, Keith Harring, Warhol et moi à tester un nouvel ordinateur et c’est à ce moment là que je créai  http://vimeo.com/1567971

Le Hip-Hop semble avoir grandement influencé votre vie et votre œuvre. Pouvez-vous expliquer le rôle de la musique dans votre vie ? Un coup de cœur du moment ? Votre sentiment sur la musique d’aujourd’hui et d’autrefois ?
            Des artistes comme Laurie Anderson, Alan Suicide faisaient tous de l’art et de la musique en même temps dans les années 70. J’ai commencé à enregistrer des trucs dans la cave de mon pote à la fin des années 70 et j’ajoutais des éléments sonores à mes installations qui allaient à l’intérieur. A partir de l’hiver 1979, je passais beaucoup de temps à Fashion Moda, j’ai récupéré pas mal de beats/rap et j’ai fait quelques discs avec Bear 167 du Bronx sud. J’aime toujours ajouter des éléments sonores sur mes vidéos. En ce moment, j’écoute différents trucs comme Lower Dens, Animal Collective, Panda Bear, Woodsman, tout ce qui sonne pas fini, comme un fond sonore, je kiffe !

Que pensez-vous de la scène street art new-yorkaise de nos jours ? 
            Le street art est le « média visuel » le plus rapide, mieux que la publicité, le marketing. Il y a toujours quelque chose de différent à voir quelque part sur la planète. C’est toujours les jeunes qui apportent la nouveauté à la rue, malheureusement on n’est pas jeune éternellement. Le carriérisme, les marques, les projets ne cherchant que la promotion se mettent en travers de ta personne. Et le prochain piège, c’est de s’efforcer de faire partie du troupeau d’une galerie, mais qu’est-ce que je suis ? …Un mouton ? Voilà comment marche le système des galeries et comment il essaie de te contrôler.

Vos street-artistes préférés aujourd’hui ?
            Il y a une gamine qui utilise des craies de couleurs de l’autre côté du block. Elle ne fait jamais la même chose deux fois. Je n’ose pas lui parler. J’ai hâté qu’il fasse meilleur pour voir ce qu’elle va faire ensuite. C’est l’essence d’un grand street-artist. Il y a de la cohérence, elle est toujours au même spot. Je ne suis pas un type en quête de tous les murs de la planète. Comme ça, au pied levé, je te dirai que les « Love Letters » de Stephen Powers étaient vraiment cool. Un grand sens du lien à la communauté

D’autres projets en vue ?
            De nouvelles peintures avec Don Leicht au studio, « Streamdropstrasse », le projet en cours Stanley Cup et d’autres trucs en plus ailleurs.
           


vendredi 13 juillet 2012

La traduction de l'article du Guardian 
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2012/jul/09/culture-tube-graffiti

Une culture du graffiti sur métro qui se meurt

Pour les writers sur métro, l’augmentation des amendes et la baisse continue de la reconnaissance liée à leur art mettent fin à une longue histoire d’amour.

            Ce week-end marque le début de la fin pour tout le parc roulant de type A du métro de Londres,  ces métros qui grinçaient et qui étaient les plus vieux du réseau.

            Parmi les anoraks et les amoureux du métro attentifs aux passages des métros, un groupe de Londoniens quelque peu inattendu rend peut-être un dernier hommage à ces  anachronismes de métal qui roulent avec fracas. Les writers les plus acharnés du métro londonien font en effet le deuil cette semaine du Big Met, leur cible privilégiée depuis bientôt presque 30 ans. La ligne de métro qui rappelle le plus celui de New-York - avec ses grandes wagons, ses panels bien lisses et spacieux sur les côtés, et ses très longues lignes allant jusqu’au cœur de la capitale – est, depuis le milieu des années 80, le terrain de jeu des writers les plus obstinés.

            Pour la plupart des usagers du métro, les graffitis ne sont que source d’une irritation plus ou moins prononcée. Toujours là, dans un coin du champ de vision, sans signification ou intention apparente sinon d’affirmer sa propre présence. Cependant, pour d’autres usagers, tous ces griffonnages et gribouillages, block-letters et flops sont un bulletin d’information en changement permanent, mis à jour quotidiennement et qui relate les performances de groupes associés ou rivaux.

            J’avais 12 ans, me sentais invincible et je me demandais bien qui je pouvais être quand je m’éveillais aux premières aventures du graffiti sur train. Je considérais cela comme une manière de me définir et vu que j’avais toujours eu un penchant artistique, je me suis dit que c’était un truc dans lequel je pourrais être bon. Une fois dans le mouvement, l’appât du gain et les traditions du milieu devinrent dures à réfréner. Tout ce qu’on avait pu faire dans le graffiti avant n’était rien comparé aux métros. J’appris que « les vrais writers peignaient des métros ». Des photos s’échangeaient, on se racontait des histoires de poursuites, des légendes s’écrivaient. Un jargon londonien apparut, les lignes et les dépôts eurent des surnoms.

            Le temps passait, et par un vieil ami, un des vétérans du graffiti sur métro à Londres, je fis à la fois connaissance avec les tunnels et les « layups » du métro. Cette première fois sous terre fut pour moi la découverte d’un nouveau monde. Un monde sous 7 millions de personnes, pas conçu pour les humains, que l’on ne voit que peu et que l’on explore encore moins. Pour arriver jusqu’au trains, il fallait esquiver les caméras, passer par des chemins très étroits souvent en l’air, redescendre par des pylônes. Les graffeurs se cachaient dans les alcôves alors des agents d’entretiens bavardaient et des agents de sécurité passaient devant eux à seulement quelques pas. Après avoir pataugé dans une crasse noire, les trains étaient finalement atteints, au chaud dans un dépôt dans les profondeurs du centre de Londres. Quatre heures s‘écoulèrent entrecoupées par de fortes doses d’adrénaline et de battements de cœur aigus. C’est lors de cette nuit que je fis connaissance pour la première fois avec les DDS, un collectif de graffeurs qui, pendant de nombreuses années – bien plus que beaucoup d’autres graffiti-artistes britanniques – ont représenté ce qu’était le graffiti sur métro à Londres.

            Des nuits durant après cet épisode, je revoyais les tunnels et les trains dans mon sommeil. Ce cocktail d’aventure et de rébellion, de camaraderie et de victoires était proprement enivrant. Beaucoup d’autres en ont fait l’expérience comme moi, certains bien plus souvent que moi. Une partie d’entre eux en ont fait leur travail, et pendant des années ont risqué leur vie et leur liberté pour réitérer cette expérience dans le métro londonien avec un dévouement et un engagement qui confine à l’obsession.

            Mais dans le Londres de 2012 qui s’apprête à accueillir les Jeux Olympiques, les choses ont changé. Une des conséquences de la politique actuelle du métro londonien qui consiste à retirer immédiatement les trains peints du réseau est que les œuvres ne tournent plus. De plus, la vidéosurveillance toujours plus accrue et les moyens high-tech en termes de sécurité pour garder les trains font que la peinture sur métros devient une activité de plus en plus clandestine. Les patrouilles de sécurité dans les dépôts font que ceux qui arrivent à y pénétrer ne disposent que de quelques minutes pour peindre, alors qu’autrefois ils avaient plusieurs heures devant eux. ‘Cela compromet la qualité du rendu possible’ déclarent les graffeurs.

            J’ai été arrêté, poursuivi, payé d’énormes amendes, fait beaucoup de travaux d’intérêt généraux. La scène a changé, ma vie a changé, et je me suis mis à faire plus de légal et d’autres formes d’expression personnelle. Etant resté en contact de manière sporadique avec la scène graffiti; bien des années après, les protagonistes de ce qui deviendrait mon documentaire sur le graffiti sur métro m’approchèrent. A ma grande stupéfaction, j’appris que non seulement le métro se faisait toujours tapé régulièrement mais que les tactiques d’attaque d’aujourd’hui étaient d’une grande complexité. ‘Mais c’est pas tout’, me confièrent mes amis à capuche, ‘on a tout filmé’. Au fur et à mesure que je passais davantage de temps avec eux et leurs enregistrements d’actions, il me semblait de plus en plus clair que la culture du graffiti sur métro vivait ses dernières heures. En effet, une campagne de nettoyage radicale est en cours, les graffiti-artistes sont sujets à des opérations de police de grande échelle et de longues peines de prison prononcées. Pour de nombreux writers, le fun et l’histoire d’amour qui allait avec font désormais partie du passé et ont été remplacé par un dur labeur y compris dans la préparation. Un dur labeur échangé contre une récompense de plus en plus mince et des sanctions de plus en plus sévères. Leur discours est empreint de relents de frustration, ils se sentent incompris et diabolisés. Leurs intentions sont pures, clament-ils, ils souhaitent simplement peindre du mieux qu’ils puissent et donner le meilleur d’eux-mêmes dans leur spécialité. A contrario, l’ingratitude du public les décontenance grandement.      

            En ayant fait l’expérience, ils n’arrivent pas à accepter que la plupart des Londoniens ne connaitront jamais la sensation de voir entrer en station, par un sinistre lundi matin, un de leurs ‘wholecar’ coloré, avec un personnage et un message. Et au vu de la situation, il se pourrait bien que cela n’arrive jamais plus.