La traduction de l'article du Guardian
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2012/jul/09/culture-tube-graffiti
Une culture du graffiti sur métro qui se meurt
Pour les writers sur métro, l’augmentation des amendes
et la baisse continue de la reconnaissance liée à leur art mettent fin à une
longue histoire d’amour.
Ce week-end
marque le début de la fin pour tout le parc roulant de type A du métro de
Londres, ces métros qui grinçaient et
qui étaient les plus vieux du réseau.
Parmi les
anoraks et les amoureux du métro attentifs aux passages des métros, un groupe
de Londoniens quelque peu inattendu rend peut-être un dernier hommage à
ces anachronismes de métal qui roulent
avec fracas. Les writers les plus acharnés du métro londonien font en effet le
deuil cette semaine du Big Met, leur cible privilégiée depuis bientôt presque
30 ans. La ligne de métro qui rappelle le plus celui de New-York - avec ses
grandes wagons, ses panels bien lisses et spacieux sur les côtés, et ses très
longues lignes allant jusqu’au cœur de la capitale – est, depuis le milieu des
années 80, le terrain de jeu des writers les plus obstinés.
Pour la
plupart des usagers du métro, les graffitis ne sont que source d’une irritation
plus ou moins prononcée. Toujours là, dans un coin du champ de vision, sans
signification ou intention apparente sinon d’affirmer sa propre présence.
Cependant, pour d’autres usagers, tous ces griffonnages et gribouillages,
block-letters et flops sont un bulletin d’information en changement permanent,
mis à jour quotidiennement et qui relate les performances de groupes associés
ou rivaux.
J’avais 12
ans, me sentais invincible et je me demandais bien qui je pouvais être quand je
m’éveillais aux premières aventures du graffiti sur train. Je considérais cela
comme une manière de me définir et vu que j’avais toujours eu un penchant
artistique, je me suis dit que c’était un truc dans lequel je pourrais être
bon. Une fois dans le mouvement, l’appât du gain et les traditions du milieu
devinrent dures à réfréner. Tout ce qu’on avait pu faire dans le graffiti avant
n’était rien comparé aux métros. J’appris que « les vrais writers
peignaient des métros ». Des photos s’échangeaient, on se racontait des
histoires de poursuites, des légendes s’écrivaient. Un jargon londonien
apparut, les lignes et les dépôts eurent des surnoms.
Le temps
passait, et par un vieil ami, un des vétérans du graffiti sur métro à Londres,
je fis à la fois connaissance avec les tunnels et les « layups » du
métro. Cette première fois sous terre fut pour moi la découverte d’un nouveau
monde. Un monde sous 7 millions de personnes, pas conçu pour les humains, que
l’on ne voit que peu et que l’on explore encore moins. Pour arriver jusqu’au
trains, il fallait esquiver les caméras, passer par des chemins très étroits
souvent en l’air, redescendre par des pylônes. Les graffeurs se cachaient dans
les alcôves alors des agents d’entretiens bavardaient et des agents de sécurité
passaient devant eux à seulement quelques pas. Après avoir pataugé dans une
crasse noire, les trains étaient finalement atteints, au chaud dans un dépôt
dans les profondeurs du centre de Londres. Quatre heures s‘écoulèrent
entrecoupées par de fortes doses d’adrénaline et de battements de cœur aigus.
C’est lors de cette nuit que je fis connaissance pour la première fois avec les
DDS, un collectif de graffeurs qui, pendant de nombreuses années – bien plus
que beaucoup d’autres graffiti-artistes britanniques – ont représenté ce
qu’était le graffiti sur métro à Londres.
Des nuits
durant après cet épisode, je revoyais les tunnels et les trains dans mon
sommeil. Ce cocktail d’aventure et de rébellion, de camaraderie et de victoires
était proprement enivrant. Beaucoup d’autres en ont fait l’expérience comme
moi, certains bien plus souvent que moi. Une partie d’entre eux en ont fait
leur travail, et pendant des années ont risqué leur vie et leur liberté pour
réitérer cette expérience dans le métro londonien avec un dévouement et un
engagement qui confine à l’obsession.
Mais dans
le Londres de 2012 qui s’apprête à accueillir les Jeux Olympiques, les choses
ont changé. Une des conséquences de la politique actuelle du métro londonien
qui consiste à retirer immédiatement les trains peints du réseau est que les
œuvres ne tournent plus. De plus, la vidéosurveillance toujours plus accrue et
les moyens high-tech en termes de sécurité pour garder les trains font que la
peinture sur métros devient une activité de plus en plus clandestine. Les
patrouilles de sécurité dans les dépôts font que ceux qui arrivent à y pénétrer
ne disposent que de quelques minutes pour peindre, alors qu’autrefois ils
avaient plusieurs heures devant eux. ‘Cela compromet la qualité du rendu
possible’ déclarent les graffeurs.
J’ai été
arrêté, poursuivi, payé d’énormes amendes, fait beaucoup de travaux d’intérêt
généraux. La scène a changé, ma vie a changé, et je me suis mis à faire plus de
légal et d’autres formes d’expression personnelle. Etant resté en contact de
manière sporadique avec la scène graffiti; bien des années après, les
protagonistes de ce qui deviendrait mon documentaire sur le graffiti sur métro
m’approchèrent. A ma grande stupéfaction, j’appris que non seulement le métro
se faisait toujours tapé régulièrement mais que les tactiques d’attaque
d’aujourd’hui étaient d’une grande complexité. ‘Mais c’est pas tout’, me
confièrent mes amis à capuche, ‘on a tout filmé’. Au fur et à mesure que je
passais davantage de temps avec eux et leurs enregistrements d’actions, il me
semblait de plus en plus clair que la culture du graffiti sur métro vivait ses
dernières heures. En effet, une campagne de nettoyage radicale est en cours,
les graffiti-artistes sont sujets à des opérations de police de grande échelle
et de longues peines de prison prononcées. Pour de nombreux writers, le fun et
l’histoire d’amour qui allait avec font désormais partie du passé et ont été
remplacé par un dur labeur y compris dans la préparation. Un dur labeur échangé
contre une récompense de plus en plus mince et des sanctions de plus en plus
sévères. Leur discours est empreint de relents de frustration, ils se sentent
incompris et diabolisés. Leurs intentions sont pures, clament-ils, ils
souhaitent simplement peindre du mieux qu’ils puissent et donner le meilleur d’eux-mêmes
dans leur spécialité. A contrario, l’ingratitude du public les décontenance
grandement.
En ayant
fait l’expérience, ils n’arrivent pas à accepter que la plupart des Londoniens
ne connaitront jamais la sensation de voir entrer en station, par un sinistre
lundi matin, un de leurs ‘wholecar’ coloré, avec un personnage et un message.
Et au vu de la situation, il se pourrait bien que cela n’arrive jamais plus.
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