vendredi 13 juillet 2012

La traduction de l'article du Guardian 
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2012/jul/09/culture-tube-graffiti

Une culture du graffiti sur métro qui se meurt

Pour les writers sur métro, l’augmentation des amendes et la baisse continue de la reconnaissance liée à leur art mettent fin à une longue histoire d’amour.

            Ce week-end marque le début de la fin pour tout le parc roulant de type A du métro de Londres,  ces métros qui grinçaient et qui étaient les plus vieux du réseau.

            Parmi les anoraks et les amoureux du métro attentifs aux passages des métros, un groupe de Londoniens quelque peu inattendu rend peut-être un dernier hommage à ces  anachronismes de métal qui roulent avec fracas. Les writers les plus acharnés du métro londonien font en effet le deuil cette semaine du Big Met, leur cible privilégiée depuis bientôt presque 30 ans. La ligne de métro qui rappelle le plus celui de New-York - avec ses grandes wagons, ses panels bien lisses et spacieux sur les côtés, et ses très longues lignes allant jusqu’au cœur de la capitale – est, depuis le milieu des années 80, le terrain de jeu des writers les plus obstinés.

            Pour la plupart des usagers du métro, les graffitis ne sont que source d’une irritation plus ou moins prononcée. Toujours là, dans un coin du champ de vision, sans signification ou intention apparente sinon d’affirmer sa propre présence. Cependant, pour d’autres usagers, tous ces griffonnages et gribouillages, block-letters et flops sont un bulletin d’information en changement permanent, mis à jour quotidiennement et qui relate les performances de groupes associés ou rivaux.

            J’avais 12 ans, me sentais invincible et je me demandais bien qui je pouvais être quand je m’éveillais aux premières aventures du graffiti sur train. Je considérais cela comme une manière de me définir et vu que j’avais toujours eu un penchant artistique, je me suis dit que c’était un truc dans lequel je pourrais être bon. Une fois dans le mouvement, l’appât du gain et les traditions du milieu devinrent dures à réfréner. Tout ce qu’on avait pu faire dans le graffiti avant n’était rien comparé aux métros. J’appris que « les vrais writers peignaient des métros ». Des photos s’échangeaient, on se racontait des histoires de poursuites, des légendes s’écrivaient. Un jargon londonien apparut, les lignes et les dépôts eurent des surnoms.

            Le temps passait, et par un vieil ami, un des vétérans du graffiti sur métro à Londres, je fis à la fois connaissance avec les tunnels et les « layups » du métro. Cette première fois sous terre fut pour moi la découverte d’un nouveau monde. Un monde sous 7 millions de personnes, pas conçu pour les humains, que l’on ne voit que peu et que l’on explore encore moins. Pour arriver jusqu’au trains, il fallait esquiver les caméras, passer par des chemins très étroits souvent en l’air, redescendre par des pylônes. Les graffeurs se cachaient dans les alcôves alors des agents d’entretiens bavardaient et des agents de sécurité passaient devant eux à seulement quelques pas. Après avoir pataugé dans une crasse noire, les trains étaient finalement atteints, au chaud dans un dépôt dans les profondeurs du centre de Londres. Quatre heures s‘écoulèrent entrecoupées par de fortes doses d’adrénaline et de battements de cœur aigus. C’est lors de cette nuit que je fis connaissance pour la première fois avec les DDS, un collectif de graffeurs qui, pendant de nombreuses années – bien plus que beaucoup d’autres graffiti-artistes britanniques – ont représenté ce qu’était le graffiti sur métro à Londres.

            Des nuits durant après cet épisode, je revoyais les tunnels et les trains dans mon sommeil. Ce cocktail d’aventure et de rébellion, de camaraderie et de victoires était proprement enivrant. Beaucoup d’autres en ont fait l’expérience comme moi, certains bien plus souvent que moi. Une partie d’entre eux en ont fait leur travail, et pendant des années ont risqué leur vie et leur liberté pour réitérer cette expérience dans le métro londonien avec un dévouement et un engagement qui confine à l’obsession.

            Mais dans le Londres de 2012 qui s’apprête à accueillir les Jeux Olympiques, les choses ont changé. Une des conséquences de la politique actuelle du métro londonien qui consiste à retirer immédiatement les trains peints du réseau est que les œuvres ne tournent plus. De plus, la vidéosurveillance toujours plus accrue et les moyens high-tech en termes de sécurité pour garder les trains font que la peinture sur métros devient une activité de plus en plus clandestine. Les patrouilles de sécurité dans les dépôts font que ceux qui arrivent à y pénétrer ne disposent que de quelques minutes pour peindre, alors qu’autrefois ils avaient plusieurs heures devant eux. ‘Cela compromet la qualité du rendu possible’ déclarent les graffeurs.

            J’ai été arrêté, poursuivi, payé d’énormes amendes, fait beaucoup de travaux d’intérêt généraux. La scène a changé, ma vie a changé, et je me suis mis à faire plus de légal et d’autres formes d’expression personnelle. Etant resté en contact de manière sporadique avec la scène graffiti; bien des années après, les protagonistes de ce qui deviendrait mon documentaire sur le graffiti sur métro m’approchèrent. A ma grande stupéfaction, j’appris que non seulement le métro se faisait toujours tapé régulièrement mais que les tactiques d’attaque d’aujourd’hui étaient d’une grande complexité. ‘Mais c’est pas tout’, me confièrent mes amis à capuche, ‘on a tout filmé’. Au fur et à mesure que je passais davantage de temps avec eux et leurs enregistrements d’actions, il me semblait de plus en plus clair que la culture du graffiti sur métro vivait ses dernières heures. En effet, une campagne de nettoyage radicale est en cours, les graffiti-artistes sont sujets à des opérations de police de grande échelle et de longues peines de prison prononcées. Pour de nombreux writers, le fun et l’histoire d’amour qui allait avec font désormais partie du passé et ont été remplacé par un dur labeur y compris dans la préparation. Un dur labeur échangé contre une récompense de plus en plus mince et des sanctions de plus en plus sévères. Leur discours est empreint de relents de frustration, ils se sentent incompris et diabolisés. Leurs intentions sont pures, clament-ils, ils souhaitent simplement peindre du mieux qu’ils puissent et donner le meilleur d’eux-mêmes dans leur spécialité. A contrario, l’ingratitude du public les décontenance grandement.      

            En ayant fait l’expérience, ils n’arrivent pas à accepter que la plupart des Londoniens ne connaitront jamais la sensation de voir entrer en station, par un sinistre lundi matin, un de leurs ‘wholecar’ coloré, avec un personnage et un message. Et au vu de la situation, il se pourrait bien que cela n’arrive jamais plus.


           


         





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire